Work in Progress 1.0

Voir les photos

 

Voilà un chantier inhabituel : pas de désordre, d’empilage de matériaux de construction, de détritus en tas, de fers à béton, d’outils, d’engins mécaniques, de cohortes d’ouvriers qui circulent en une chorégraphie étrange… Mais des travailleurs appliqués qui suivent scrupuleusement les lignes tracées sur un plan, les marques sur un mur, les côtes et les niveaux. C’est l’opération inverse de «découpez en suivant le pointillé», là, il faut ajuster selon les repères, monter d’après les consignes, pas d’improvisation, de la rigueur, la solidité de l’ensemble en dépend !

 

Le regard de l’ouvrier accompagne son geste, lui dicte son mouvement, aucune hésitation, pas de tremblement ou de faute d’inattention. De l’exactitude. La construction repose sur des calculs. Pierre-Yves Brunaud cadre précisément ces tâches quasi-parfaites. Chaque photographie exprime l’aspect méticuleux d’un travail qu’on imagine plutôt réalisé à la louche. Du coup, le regard se fixe sur les pantomimes exécutées sans agitation en des figures apaisées, alors même que les matériaux sont durs, blessants, bruts et que les hommes semblent puissants, mais en retenue, sur le qui-vive. Tout se fait en douceur. D’où cette lumière qui conforte ce sentiment. D’où ces couleurs qui calment le jeu, le rendent silencieux tout en accompagnant la tension maîtrisée qui émane du travailleur.

 

L’architecte, le géomètre, le chef d’équipe, savent-ils que ces traits produisent cet effet ? Se souviennent-ils que, dans le vocabulaire de l’architecture, le repère – qui provient de «repaire» - est une marque apposée sur les pierres afin d’en faciliter l’assemblage ? C’est aussi un trait sur une cloison qui indique l’emplacement d’un placard, d’un lavabo ou le passage d’une gaine. Ces repères ont pour but de se repérer, c’est-à-dire de s’y retrouver dans l’écheveau des fils inscrits sur les murs. Ils constituent une sorte de langage, que seuls des initiés décryptent. Peut-être que la cohésion d’un chantier réclame ce parler en signes ? Pour le néophyte, l’ouvrier a le compas dans l’œil, fruit de ses expériences accumulées de chantier en chantier et la construction lui apparaît n’être qu’un simple jeu, ayant sa propre logique…

 

À voir ces photographies et à les comparer aux autres images de chantiers qui nous assaillent, on se dit que le travail qualifié n’a pas disparu et qu’à côté d’actions répétitives, sans trop d’exigences que des manœuvres peuvent effectuer indifféremment, le chantier possède encore des métiers, avec un savoir-faire, un apprentissage, une formation continue et espérons-le un réel plaisir qui récompense chaque professionnel de son acharnement. C’est cet amour de l’art que la photographie ne peut saisir. Il appartient au domaine de l’invisible. Complimentez un ouvrier, il restera taiseux, passera à autre chose. C’est sa pudeur à lui. Quelques traces sur un calque, quelques marques sur un béton tout juste décoffré…

 

Thierry Paquot