De fer, de pierre, de terre et d'eau
De fer, de pierre, de terre et d'eau
Résidence artistique co-produite par deux abbayes cisterciennes : Noirlac et Fontmorigny (Région Centre)
Recherches autour du patrimoine industriel de la région en résonance avec les deux abbayes, dont l'ordre cistercien fût pionnier en matière de développement industriel.
Série présentée dans le cadre du festival "Les Futurs de l'Écrit" à l'Abbaye de Noirlac en mai 2015.
De l’esprit du lieu
Christophe Leray, in Chroniques d'architecture (décembre 2015)
Comment représenter un patrimoine industriel aujourd’hui disparu ? C’est la question que s’est posée le photographe Pierre-Yves Brunaud. Invité pour une résidence d’artiste à l’abbaye de Noirlac, dans le Cher, il apporte une réponse pertinente en reliant l’histoire de l’ordre cistercien du XIIème siècle à nos jours tout en exprimant la richesse du territoire actuel de manière poétique.
Les moines cisterciens, fondateurs de deux abbayes distantes de 60 km à peine – Noirlac et Fontmorigny – furent des précurseurs dans le domaine industriel, pour autant que l’on puisse l’écrire ainsi puisque, dès le XIIIe siècle, ils produisaient de la porcelaine et entreprenaient de développer la métallurgie, construisant des forges et inventant la fonte dès le siècle suivant. Au XVIIIe siècle, le Val d’Aubois est ainsi devenu l’une des plus importantes régions sidérurgiques françaises et une terre d’expérimentation technique et architecturale. Au XIX et XXe siècle, ce sont les ateliers de briques et de tuiles qui s’industrialisent à leur tour. Sauf que les vestiges sont rares dans la région, à l’exception des Forges de Torteron. Ce qui renvoie à la question posée : comment balayer l’histoire d’un territoire sur plusieurs siècles et, pour en révéler la richesse, représenter un patrimoine disparu qui l’a pourtant marqué ?
Interview en images :
Le réfectoire de l’abbaye de Noirlac accueille les ruines de la fonderie de Torteron, un site industriel que l’on pourrait presque qualifier d’archéologique. Le stade de foot municipal a recouvert l’ensemble de la superficie. Ne demeure aujourd’hui en contrebas qu’une très large façade de pierre dont les ouvertures voûtées sont entièrement comblées et envahies par la végétation.
Des générations d’ouvriers se succèdent au gré des époques et des activités industrielles. Cette image d’archive datée de 1910 de la tuilerie mécanique de Grossouvre, une des rares usines encore en activité aujourd’hui dans la région, est projetée sur l’exceptionnelle charpente du dortoir des convers de l’abbaye de Noirlac.
L’architecture cistercienne de Noirlac est magnifiquement conservée et restaurée, A contrario celle de l’abbaye de Fontmorigny comporte des parties qui font encore l’objet de fouilles ou d’opérations de soutènement et de réhabilitation. Ce qui fût la promenade autour du cloître, aujourd’hui envahie par les herbes, accueille ici une perspective de l’usine de tuiles mécaniques.
Si j’ai un intérêt particulier pour la mémoire et pour le patrimoine, c’est avant tout pour tenter d’appréhender le présent. La rencontre passionnante avec le directeur de la tuilerie de Grossouvre m’ouvre un nouvel univers contemporain avec de vrais ouvriers en chair et en os : la précision du geste et le souci du travail bien fait depuis des décennies font de cette tuilerie mécanique un des grands fournisseurs des monuments historiques en France.
Autres époques, autres lieux. Ce pourrait être des cathédrales, au sens religieux comme au sens industriel. J’ai pris un malin plaisir à confondre les perspectives de la nef de Noirlac avec celles du four de la tuilerie, qui doit faire 200 ou 300 mètres de long afin d’assurer une cuisson optimale. Des souvenirs me reviennent d’un précédent travail, Matière à construire, qui m’avait déjà conduit à explorer l’immense four d’une briqueterie industrielle.
Pierre-Yves Brunaud