La Ville Médiane • Datamorphoses
La Ville Médiane • Datamorphoses [ Extraits ]
« En regardant les images de Pierre-Yves Brunaud, je pense à la ville augmentée, cette ville qui permet d’accéder à un degré supérieur de réalité grâce aux datas. La société produit en effet massivement des données permettant par des indicateurs, des mesures, et jusqu’à de simples clics, de comptabiliser, de quantifier, de rendre toute chose comme tout comportement humain, mesurable. Les algorythmes et les big datas sont devenus omniprésents dans nos vies. C'est désormais à travers cette couche épaisse d'informations et de calculs que l'on regarde ce qui nous entoure. La ville n'y échappe pas. Les opérateurs urbains, les architectes et urbanistes des systèmes d'information, les géants du net investissent d'ailleurs massivement dans la Smart City.
Si la ville de Pontault-Combault ne joue pas forcément dans cette cour, elle peut elle-aussi être vue à travers la numérisation, les statistiques, les histogrammes, les images-satellites innombrables que l'on trouve sur le web et dans les bases de données. L'idée ingénieuse de l’auteur est de projeter ces données, de les incruster sur le paysage urbain et non seulement de créer une esthétique inattendue, un e-street-art, mais surtout de nous doter d’un regard informé, en nombre de décibels, en surface agricole consommée, en vue aérienne, etc. A défaut d'avoir les yeux rivés à son écran de smartphone, on découvre, émerveillé, le paysage urbain intelligent qui nous est donné à voir. Nous aurions eu tendance à sous-estimer la quantité d’informations qui existe y compris pour un lieu sous-estimé comme Pontault-Combault… »
Un soleil insolent brille sur la zone commerciale déserte ; seul l’hypermarché, dit commerce essentiel, est ouvert au public, collé-serré contre une bretelle de la Francilienne. Malgré la forêt toute proche, la zone est un véritable four, avec ses boîtes à chaussures bardées de galvanisé et ses dizaines d’hectares de stationnement goudronné. Voilà encore un bel exemple d’îlot de chaleur urbain ! Un de ces lieux exceptionnels où croiser un arbre relève de la rencontre exceptionnelle…
Je continue tranquillement à faire le tour de la commune à vol d’oiseau, en caressant ma souris depuis la fraîcheur de mon studio, à des kilomètres de là... Tiens, quel bel escargot par ici !? c’est une magnifique impasse pavillonnaire ! Et là, cette demeure cossue, avec tennis et bouquet d’arbres ? Ah la précision des prises de vues satellites…
Vu du ciel, c’est assez clair. C’est le point de vue de l’urbaniste dominant, voire du stratège militaire.
Vu du sol, c’est une autre histoire. En 2019, dans le cadre d’un workshop avec le CGET portant sur la « ville moyenne », j'avais réalisé un inventaire photographique méthodique des typologies urbaines de la commune, en sillonnant tous ses quartiers. C’était dans le monde d’avant, lorsque je parcourais le Grand Paris en tous sens, avec mes amis sismographes…
A la faveur du confinement, je replonge dans cette collection de paysages urbains : même soigneusement réfléchi et réalisé, ce travail me paraît finalement insuffisant pour rendre compte de la diversité des situations urbaines de cette commune francilienne. Avec la volonté d'épaissir les images et de faire parler les murs, je me lance alors frénétiquement dans la recherche des données disponibles sur les espaces et les populations de la ville : données géographiques, urbaines, sociales, démographiques, environnementales ; Ademe, Apur, IAU, Insee, Googlemaps... Autant de datas, cartographies, vues satellites, histogrammes, statistiques, graphiques ou légendes qui se bousculent sur mon disque dur.
J'entreprends ensuite de fusionner ces images avec les données collectées, de façon à réaliser une série de photographies "augmentées". Chacune des typologies retenue me raconte une histoire ; me guide vers le choix d'un type de données correspondant, qui vient s'intégrer directement dans l'image ; sur une surface, un volume, une texture, un linéaire... de façon très visible parfois, ou au contraire plus discrète, pour donner naissance à ces « Datamorphoses ».
Est-ce la richesse et la diversité du panorama urbain offert par Pontault-Combault, ville moyenne du Grand Paris, qui m'ont guidé vers cette méthode de travail aux croisements de l'enquête de terrain, de l'expérimentation scientifique et de la création ? Ou peut-être est-ce également la modalité de la collaboration avec une institution publique, dont les rapports fournis sont justement bâtis sur la production et l'analyse de ces précieuses données ?
A l’instar du CGET, l’Institut Paris Région m’a offert des trésors de connaissances appliqués à cette petite commune d’Ile-de-France. Le confinement et l’impossibilité de se déplacer m’ont en tout cas permis d’explorer en profondeur le rapport que peuvent entretenir les données collectées sur un territoire, et leur juste représentation.